Un peu d’histoire sur la Rivière Thibouville


La Rivière-Tibouville (et non pas Thibouville, comme on l'écrit communément) avait pris ce nom de la noble famille de Tibouville, dont elle était la principale propriété.
Le premier personnage de cette maison dont le nom nous est parvenu, est Roger de Thibouville (de Tetboldi villa), qu’on voit figurer parmi les souscripteurs d’une charte de Henri1er, en faveur de Saint Evroult, en 1115. Ce Roger de Thibouville est probablement le même qui est mentionné dans la charte de Henri II comme ayant donné à l’abbaye du Bec la moitié du manoir de Wedone(comté de Northanystonen Angleterre) ; son nom y est écrit « Thibovill ».
Son fils, Robert II de Tibouville(né vers 1130) était l’un des chevaliers bannerets (jeune noble qui se présente à l’armée avec plusieurs vassaux sous sa bannière)  sous Philippe-Auguste (1165-1223).
La terre de Fontaine-la-Soret sortit de cette maison par le mariage de Marie de Tibouville avec Jean de Carrouges, connu pour son duel judiciaire avec un certain Legris en 1386. Marie de Tibouville faisait de Fontaine-la-Soret sa résidence principale.
Robert de Carrouges étant mort sans enfants, c’est Robert de Tibouvlle, sire de Tibouville et seigneur de Fontaine-la-Soret et  son frère Guillaume qui héritèrent.
Guillaume commandait la place forte de la Rivière-Thibouville à l’époque du siège par les anglais durant la guerre de cent ans.Il en remit les clés au duc de Clarmesreprésentant de Henri V, le 11 mars 1417.
C’est par la fille de Guillaume, Judith, qui épousa en deuxième noce le chevalier Henri de Gouvis, que Fontaine-la-Soret eut ensuite ses différents seigneurs, entr’autresBertrand de Gouvis et Lore de Gouvis.
A la fin du XVème siècle, Fontaine-la-Soret revint dans la maison de Tibouville, à la suite du décès sans héritier de Lore de Gouvis. Jeanne de Tilly, fille de Jeanne de Tibouville et épouse de Jean IV seigneur de Ferrières, en devint la châtelaine.
Sa petite-fille, Françoise de Ferrières amena Fontaine dans la maison d’Arses (ou Arces) en 1507, d’où elle passa successivement dans celles des Ursins puis de Brienne-Confins. Cette dernière la possédait encore au XVIIème siècle.
En 1517,Jean Campion a hérité de son beau-père, Guillaume deThibouville, 22ha de terres comprenant : Bois Herval, Ecaquelon, La Rivière Thibouville...
La Normandie a connu au cours du XVIème siècle beaucoup de troubles liés aux guerres de religion. La sainte Ligue avec, à sa tête le  duc de Guise, était un parti constitué de catholiques déçus par les prises de position du roi Henri III, alors favorable aux protestants.
En 1590, l’année du sacre de Henri IV et de sa victoire (« suivez mon panache blanc ») lors de la bataille d’Ivry  sur le duc de Mayenne à la tête des troupes de la Ligue, les ligueurs s’emparent  du château fort, après un combat sur la commune d’Aclou.(On a découvert sur cette commune à la fin du XVIIIème siècle de larges pierres sépulcrales ,des casques, des boulets et une grande quantité d’ ossements humains avec de nombreuses monnaies de cuivre et d’ argent du XVème siècle.source : Dictionnaire topographique statistique et historique du département de l’Eure, par M. L.Gadebled 1840)
A cette époque, le château et sa place forte, clos de murailles et environné de grands fossés, rayonnait encore sur 13 paroisses.
Les vestiges du château étaient encore nettement visibles au XIXème siècle à l’ouest de la salle Fabia.
Il est probable que ses pierres aient servi à la construction du château actuel, bâti peu de temps avant la révolution par M. d’Auguy, fermier général.
 Informations  issues des Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, séance du 5 décembre 1828, auteur : M. Auguste LE PREVOST (géologue, philologue, archéologue et historien Bernayen ; 1787-1859).

L'évasion mouvementée de l'impératrice Eugénie (son escale à la Rivière Thibouville)

Le 5 septembre de 1870, Eugénie de Montijo quittait Paris en catastrophe.
 Eugénie, c’est la femme que l’empereur Napoléon III avait épousée dix-huit années plus tôt.
 L’empereur Napoléon III. La veille, lui, à la tête de son armée il avait fini sa course dans la cuvette de Sedan, écrasé par les Prussiens de Bismarck. Donc, avec cette défaite cinglante, le second Empire avait vécu et la révolte grondait maintenant dans la capitale où l’on allait bientôt proclamer la République.
Dans ces conditions l’Impératrice déchue allait devoir se résoudre à la fuite,et partir pour l’Angleterre. Et il se trouve que son chemin d’exil se confondrait avec les chemins de l’Eure et du Calvados.
 L’impératrice Eugénie vécut des heures douloureuses dans notre région alors qu’au moment de la révolution du 4 septembre, elle quittait Paris pour passer en Angleterre.
Après avoir hésité à abandonner le poste où l’avait placée l’Empereur, elle cède enfin à l’insistance du prince de Metternich, Ambassadeur d’Autriche, et de M. Nigra, Ambassadeur d’Italie, traverse les galeries désertes du Louvre pendant que la foule pousse des cris hostiles, en se dirigeant vers les Tuileries; il est trois heures.
 M. Nigra héla un fiacre, y fit monter l’Impératrice et sa dame de compagnie, Mme Lebreton (sœur du général Bourbaki), puis saluant ces dames, s’éclipsa. L’Impératrice désemparée, ne sachant à quel saint se vouer, se fit conduire avenue Malakoff où son dentiste, le docteur américain Evans, avait un fort bel hôtel particulier. «Me voici, lui dit-elle, je me remets entre vos mains aidez-moi à fuir en Angleterre.»
 Un peu surpris de la tâche imprévue qui lui incombait, il l’accepta de bonne grâce. Mme Evans étant en villégiature à Deauville, il pensa tout de suite à y conduire l’Impératrice et à la faire embarquer à Trouville.
 
 DEPART SUR LA ROUTE DE DEAUVILLE
 Les deux dames passèrent la nuit chez lui et le lendemain matin à cinq heures et demie, elles montaient dans le landau du docteur, accompagnées par lui et par un autre médecin de ses amis, le docteur Crane. On partit pour Saint-Germain, par une délicieuse matinée dont l’Impératrice n’apprécia pas assurément le charme.
 Le chef du poste de la porte Maillot (on se préparait déjà au siège) arrêta la voiture mais se contenta d’une vague réponse.
 On passa devant la statue de Napoléon 1er au rond-point de Courbevoie, statue que peu après le peuple devait déboulonner et jeter dans la Seine; devant l’église de Rueil, où sont enterrées l’Impératrice Joséphine et la Reine Hortense, la mère de Napoléon III; devant la Malmaison, enfin «Via Dolorosa» de la famille Bonaparte.
 On traversa Saint-Germain, Triel, Meulan. Trois lieues avant Mantes on s’arrêta à une petite auberge; le docteur Evans descendit, acheta du pain et du saucisson qu’il porta dans la voiture. L’Impératrice mangea de bon appétit; Mme Lebreton, démoralisée, ne put rien avaler.
 
PREMIER RELAIS A PACY- SUR- EURE
 A Mantes, il fallut changer de voiture, les chevaux du docteur ne pouvaient aller plus loin. On loua donc une vieille calèche qui mena les voyageurs à Pacy-sur-Eure. Là il fallut changer encore; on ne trouva qu’un véhicule antédiluvien, sale, rapiécé, recloué, reficelé, à caisse verte et roues jaunes, vitré d’immenses glaces qui ne faisait guère l’affaire de gens qui avaient des raisons de passer inaperçus; le phénomène était attelé d’une immense jument grise et d’un tout petit cheval bai.
 
L’ARRIVEE ET LE DEPART DE LA RIVIERE-THIBOUVILLE VERS SERQUIGNY
 On traversa Evreux où les mobiles revenant de l’exercice criaient: «Vive la République!». A la nuit on arriva à La Rivière-Thibouville. La voiture préhistorique ne pouvait plus rouler. On se décida à dîner et à coucher dans une auberge à gauche de la route, actuellement le«Soleil d’Or».
 Mais à la Rivière-Thibouville, il n’y avait pas de voiture à louer; il fallut donc dès le lendemain matin, malgré le danger d’être reconnus, se résigner à se rendre à pied prendre le train à la gare. Par bonheur, les voyageurs trouvèrent un compartiment vide, de même à Serquigny où ils changèrent de train pour monter dans l’express de Paris. Vers huit heures et demie du matin, ils descendirent à la gare de Lisieux.
 Aucun d’eux n’avait songé à se munir de bagage d’aucune sorte; l’Impératrice avait en tout et pour tout son réticule avec deux petits mouchoirs qu’elle lava dans la cuvette à la Rivière-Thibouville, fit sécher dans la nuit et repassa on ne sait comment.
 Il y avait beaucoup de monde à la gare de Lisieux; il pleuvait, on n’avait pas de parapluies, malgré cela on jugea prudent de quitter la gare. Evans partit en avant pour chercher une voiture à louer pour aller à Deauville.
 
SOUS LE PORCHE A LISIEUX
 Pendant ce temps, dit-il, l’Impératrice, Mme Lebreton et le docteur Crane m’avaient suivi lentement, jusqu’au moment où la pluie tombant plus fort ils s’étaient réfugiés sous le porche, aujourd’hui le numéro 8 bis de la rue d’Alençon. Ils restèrent là longtemps. L’impératrice se tenait debout près de l’entrée, Mme Lebreton un peu plus loin dans le passage, appuyée plutôt qu’assise contre une balle de laine. Après quelques minutes, un jeune homme sortit de la fabrique où il était employé, avec une chaise qu’il offrit à l’Impératrice en disant: «Madame aimerait peut-être s’asseoir?». L’Impératrice le remercia mais refusa la chaise, Mme Lebreton ne l’accepta pas non plus mais le remercia de sa courtoisie et lui dit: «Nous attendons une voiture qui doit venir d’un moment à l’autre, et nous vous sommes déjà obligés pour la liberté que vous nous avez laissée prendre de nous réfugier ici».»C’est une liberté, répondit le jeune homme, qui appartient à tout le monde en France les jours de pluie, ainsi dans le cas où votre voiture ne viendrait pas et où vous seriez fatigués de rester debout, nous nous ferons un plaisir de vous offrir toutes les chaises du bureau».
 Lorsque j’arrivai dans la rue conduisant à la gare, je vis l’Impératrice debout sous la pluie, semblant seule et présentant une si parfaite image de l’abandon que l’impression que j’en ressentis ne s’effaça jamais de mon esprit.
 L’Impératrice était trempée jusqu’aux os. La fatigue, l’insomnie, l’inquiétude, le manque de confort auxquels elles n’étaient pas habituées, la tristesse du ciel, avaient profondément déprimé les deux voyageuses.
 Elles montèrent dans la voiture et l’on partit au plus vite. On traversa Lisieux et l’on prit la route qui passe par Coquainvilliers. La pluie avait cessé, les nuages se dissipèrent, le soleil se montra, transfigurant le paysage. Influencés par la beauté du temps et le charme de la campagne, un peu rassurés du succès de l’aventure, les fugitifs devinrent presque gais.
 Se rappelèrent-ils que vingt-deux ans auparavant Louis-Philippe, détrôné lui aussi, avait suivi la même route le conduisant lui aussi à l’exil?
 
 ARRIVEE A DEAUVILLE...
Arrivée à Deauville à trois heures de l’après-midi, l’Impératrice y trouva Mme Evans qui avait pris pension à l’Hôtel du Casino et qui mit à sa disposition tout ce dont elle avait besoin. Le docteur Evans se mit à la recherche d’un bateau pour passer en Angleterre. Ce n’était pas chose facile, il n’y avait à Deauville ni à Trouville aucun bateau en partance, la mer était mauvaise et il était téméraire de se mettre en route. Toutefois il finit par découvrir un yacht de plaisance: «La Gazelle» jaugeant 42 tonneaux, monté par cinq hommes d’équipage et commandé par son propriétaire, Sir John Burgogne, un Anglais
 Ce petit navire était amarré au quai de Deauville; Sir Burgogne consentit, d’assez mauvaise grâce du reste, à se charger du périlleux honneur de faire traverser la Manche à la Souveraine détrônée.
   A minuit, par une nuit noire où le vent l’ouest soufflait en rafales, où la pluie tombait, où le fracas des lames qui se brisaient sur la plage remplissait l’âme d’épouvante, l’Impératrice trempée, couverte de boue, méconnaissable, monte à bord avec Mme Lebreton et le docteur Evans; le docteur Crane retournait à Paris.
 On se mit en route à sept heures du matin; le vent était violent, la mer démontée au point qu’au bout de deux heures Sir Burgonge parla de chercher un refuge dans quelque port de la côte française: l’Impératrice insista pour que le yacht continuât sa route.
 
SAUVEE!
 Toute la journée on fut le jouet de la tempête; vingt fois le petit bâtiment faillit être englouti. La nuit vint. Vers minuit, le temps devint plus maniable et à quatre heures du matin, après 21 heures de traversée, le yacht mouillait dans le port de Ryde, sur la côte de l’île de Wight. L’impératrice était sauvée!
 
Cette documentation a été communiquée par Mr Michel Bouin.
  

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Il était une fois... Nassandres


Situé au confluent de la Risle et de la Charentonne, Nassandres n’a pas toujours été la bourgade que nous connaissons. De vieux documents nous relatent son histoire et nous donnent l’explication de certains lieux-dits.
Dès le XIIème siècle, la famille de Bigards possédait la seigneurie de Nassandres qui passa ensuite à la famille d’Harcourt, puis à la Maison de Lorraine son héritière.
 Une difficulté s’étant élevée entre l’Abbaye du Bec et le curé de la paroisse, le Pape innocent II jugea leur différend en 1142.
 Jean III, Seigneur d’Harcourt, renonça en 1309, en faveur du Bec, à tous les droits qu’il prétendait au patronage de l’Eglise de Nassandres. La mort d’Henri de Lorraine, Comte d’Harcourt, d’Armagnac et de Brionne, tout dévoué au Cardinal de Mazarin, provoqua la séparation en deux parties de la petite localité; la première appartenait au Comte d’Armagnac et de Brionne, la seconde à la Maison de Lorraine-Harcourt; cet état de chose se continua jusqu’à la Révolution.
 Bigards doit son nom à la famille qui le possédait. En 1134, Guillaume et Gilbert de Bigards donnèrent au Bec, l’église de Nassandres et la chapelle de Bigards. Gislebert, étant sur le point de partir pour Jérusalem en 1190, donna aux moines religieux deux gerbes de récoltes de sa terre.
 Jean de Bigards était, en 1288, garde du fief de Jean d’Harcourt, Chevalier et Maréchal de France; en 1296, il fit don d’une rente d’un setier de froment à Barc. Les filles de Geoffroy de Bigards se partagèrent le domaine à sa mort en 1420. L’une d’elle, Guillemette, apporta ce fief à son époux Jean de Mailloc.
 Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, la famille d’Erneville conserva le domaine.
En 1767, M. Guy Chambellan, bourgeois de Paris, en fit l’acquisition et le conserva jusqu’à la Révolution.
 La Rivière-Thibouville doit son nom à la famille de Thibouville. Située sur la rive droite de la Risle, frontière avec Fontaine-la-Sorêt, elle dépendait de son fief.
 Jean Campion avait hérité de son beau-père, Guillaume de Thibouville, en 1517, de 22 terres: Bois-Herval, Ecaquelon, La Rivière-Thibouville, etc…
 Par mariages et héritages, la terre passa des Ferrières, aux Arcs et aux Ursins. En 1590, les ligueurs s’emparent du château-fort dont on peut voir les vestiges à l’ouest de la Salle Fabia. A cette époque, le château et place forte de la Rivière-Thibouville, clos de muraille, environné de grands fossés, s’étendait sur 13 paroisses.
 Le 11 avril 1796, les sieurs Robillard et Dreux, aubergistes à laRivière-Thibouville, convaincus de s’être introduits chez le nommé Pigis de la commune de St Sébastien-de-Préaux, de lui avoir, ainsi qu’à sa femme, brûlé les pieds avec des fers rouges et de l’eau-de-vie bouillante, furent exécutés sur la Place de la Victoire à Lisieux.
 Il existait à Nassandres un prieuré de religieuses dédié à St Denis qui dépendait de l’Abbaye de Saint Cyr, diocèse de Chartres. La chapelle est d’ailleurs assez bien conservée et est située dans la propriété de M. Gaubout.
 Au XIXème siècle, Nassandres était peuplé de 758 habitants. Il y avait 22 débits de boissons, 9000 pommiers à cidre, 1 fabrique de cierges, 3 filatures de coton, 1 blanchisserie mécanique, 1 sucrerie, 1 teillage de lin et 1 tannerie.
 Ce très bref retour dans le passé nous donne un aperçu de ce que fut Nassandres, de ses attaches profondes avec Le Bec, Thibouville, Brionne, et Harcourt.

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L'église de Nassandres

L'église, située au pied de la colline et entourée par le cimetière, date du XIème siècle. A cette époque elle était dédiée à St André ; elle est actuellement sous la patronage de St Roch dont la fête est célébrée chaque année le dimanche qui suit le 15 août.
Au XIème siècle, elle devait être au moins quatre fois plus grande qu'aujourd'hui comme le font supposer d'anciennes fondations trouvées en creusant des fosses dans le cimetière. Celui-ci devait s'étendre aussi plus au midi car vers 1867 on a retrouvé dans le jardin le bornant ausud plusieurs sarcophages en pierres dans lesquels les squelettes étaient parfaitement conservés. Ils ont été recouverts et ne se trouvent qu'à une profondeur d'un mètre à peine.
L'église actuelle a été construite au XVIème. Elle est bâtie en pierre, moellons et damiers de silex et n'offre, dans son ensemble, que peu d'intérêt architectural.
Les murailles sont soutenues par six piliers en pierre formant contrefort, elle est couverte en tuiles sur une charpente de chêne. La charpente et la couverture ont été réparées en 1893. Le clocher quadrangulaire s'élève sur le choeur ; il est couvert en ardoises sur une charpente en chêne ; la flèche ne s'élève qu'à une hauteur de 15 mètres environ. Il est bâti sur quatre piliers en pierres avec damiers de silex.
Avant la révolution, il y avait trois cloches, comme l'atteste la charpente qui montre deux places vides. Aujourd'hui, il y en a une. Elle porte en relief les inscriptions suivantes :
"LUCTIUM GAUDIUM NONTIOS
J'ai été fondue dans la cour du citoyen Jacques Rouzée en germinal an 9 de la réquisition du citoyen Pierre Charles Hamel, Maire - L'an de J.C 1817 j'ai été bénite par M. Ledoux de Laigle curé de Nassandres sous la Mairie de M. Tuos et nommée Marie Constance Florentine par M.P. Charles Florent Lizot seigneur de Bigards de Nassandres, membre de la chambre des députés. Par le député de l'Eure et juge de paix du 5ème arrondissement de Paris accompagné de M. Pierre Lizot son fils et par Madame Marie Lieuvin épouse de M. Tuos, maire, accompagnée de Melle Constance Lizot."
Sur la face du midi se trouve le cadran de l'horloge publique, donnée par M.Jacques Désiré Maury, acceptée par le Conseil Municipal le 27 mai 1869 et posée en 1873.
Le 18 novembre 1746, l'église qui avait été polluée par un accident arrivé le 14 du même mois, a été réconciliée par Nicolas Ignace Laprêté curée de Beaumont le Roger et doyen du Neubourg.
L'EGLISE PENDANT LA REVOLUTION
Le premier jour de la première décade du 2ème mois de l'an second de la République française une et indivisible, le procureur de la commune requiert le Maire et les officiers municipaux de faire ôter les fleurs de lis de la croisée de l'église et celles qui pourraient être à l'intérieur.
Le même jour, le nommé X... de la commune de Nassandres offre à la municipalité d'ôter les fleurs de lis de la croisée de l'église et celles de la croix au-dedans moyennant qu'il lui soit payé la somme de vingt livres.
Le vingt cinq pluviose, deuxième année républicaine, la municipalité arrête que les cloches seront descendues le lendemain et qu'il sera payé la somme de dix livres pour les frais.
Le douze ventôse, même année, la municipalité est invitée par la Société populaire à faire fermer l'église ; la majorité demande qu'elle reste ouverte. Le Maire est d'avis de demander à l'administration du district de Bernay si elle doit être fermée ou ouverte.
Le vingt deux ventôse, le citoyen François Thuret ayant habité la commune de Nassandres pendant dix-huit ans, déclare au Maire, Président et membre tant du corps municipal que de surveillance, que son intention est de cesser toutes fonctions publiques et ci-devant curiales dans les communes dépendant de la République et remet les clefs et les meubles appartenant à l'église.
Le même jour, tout ce qui existait en fer, en cuivre, argenterie et plomb est porté à l'administration du directoire de District de Bernay pour être envoyé à la Convention Nationale.
Le vingt-neuf ventôse, la municipalité réunie en la maison communale pour satisfaire à la loi du 14 frimaire, relative au lavement du salpêtre, arrête qu'il sera fait un fourneau dans la ci-devant église et qu'on y fera toutes les besognes nécessaires pour parvenir à la fabrication du salpêtre.
Le neuf prairial, deuxième année républicaine, le Maire et les officiers municipaux se sont réunis en la maison communale pour délibérer sur un arrêté de la Société populaire de la commune de Nassandres, demandant que les débris qui sont dans la ci-devant église de ce lieu leur soient abandonnés pour aider la Société à la consacrer à l'Etre suprême. La municipalité arrête, en présence de l'agent national et du Conseil général de la commune que le bois existant dans la ci-devant église comme autel, confessionnaux et d'autres bois sont à la disposition de la Société populaire pour aider à consacrer la ci-devant église au temple de l'Etre suprême, auteur de la nature, à la charge par elle que tous les bois qui resteront après leurs opérations faites seront venus au bénéfice de la Nation.
Le vingt-six ventôse an XI, M. François Thuret, ci-devant curé de cette dite commune est installé en qualité de desservant de Nassandres.
L'EGLISE APRES LA REVOLUTION
En 1819, l'église est restaurée et des ornements sont achetés. En 1869 restauration de la nef et du choeur. Les murailles sont percées de onze fenêtres ogivales. Enfin, en 1893, une dernière restauration a été faite. Toute la couverture a été déplacée et reposée sur la charpente réparée. Le berceau complètement détérioré a été refait à neuf en frise de pitchpin avec baguette sur rives. Les marches du choeur et du sanctuaire ont été remises à neuf en pierre de Vernon et le pavage en carreaux blancs avec rosaces. La nef, sauf l'emplacement des bancs, a été pavée d'un dallage en ciment de Portland.
Les autres datent de 1882. Ils sont en terre cuite. Le maître autel présente sur le devant et les côtés, dix colonnettes surmontées d'un ornement ogival et entre lesquelles sont les statues des Apôtres. Le tabernacle est surmonté d'une sorte de dais soutenu par quatre petites colonnes.
Les deux petits autels situés de chaque côté de la nef et faisant face à l'entrée, sont du même style que le premièr. A droite Saint Roch, à gauche la Vierge.
De chaque côté du maître-autel sont les portes de la sacristie au-dessus desquelles on remarque à droite la statue de St Léon et à gauche de St Marc. Derrière, dans une niche éclairée sur le haut par une fenêtre, se trouve une statue représentant l'Assomption.
Les autres saints représentés dans l'église sont : sur la porte d'entrée St Roch, et à gauche St Hildevert ; puis en allant vers le choeur et se faisant face de droite à gauche Ste Barbe et St Antoine de Padoue. La vierge immaculée et Ste Radegonde, le Sacré Coeur et St Joseph.
La chaire en chêne sculpté, a été faite en 1792, elle est surmontée d'un abat voix. Sur le devant on a voulu représenter St Roch mais les têtes ont été mutilées pendant la Révolution.
Les fonts baptismaux sont en pierre sculptée et assez élégants, ils sont entourés d'une grille en fonte.
Le portail est de la plus grande simplicité ; la porte est toute disjointe. Autrefois, il y avait un porche qui a été enlevé vers 1840 et dont on voit encore la trace.
Chaque année le lundi de Pentecôte, les habitants de quelques communes voisines viennent en procession faire un pélerinage à l'église de Nassandres en l'honneur de St Roch qui dit-on, préserve de la peste. Dès cinq heures du matin, la première procession arrive, c'est Aclou, Hecmanville et Franqueville réunis ; puis viennent Fontaine la Sorêt, Carsix et Boisney ensemble ; Serquigny et enfin la paroisse de Goupillières qui arrive à 10 heures.
Chaque paroisse offre à St Roch un gros cierge qui est porté par un marguiller et le Prêtre dit la messe (Il fut un temps où, en plus du cierge, on apportait un pain béni, mais cet usage a été aboli ; ce pain béni n'était distribué qu'à quelques personnes).
Après la messe, chacun va de son côté dans le village pour faire un traditionnel déjeuner à la suite duquel, au son de la cloche, les fidèles se rapprochent de l'église et la procession se remet en route pour rentrer dans sa paroisse. A midi, il ne reste plus personne.
Ce pélerinage existe depuis fort longtemps. Autrefois, beaucoup d'autres paroisses prenaient part. On cite : Bernay, Menneval, Brionne, Berthouville, La Neuville du Bosc, Tilleul Othon et Beaumontel.
D'année en année, le nombre des pélerins diminue, mais les personnes âgées ne manqueraient pas de suivre leur bannière. Ne pouvant plus marcher, elles viennent en voiture et malgré la pluie.
Extrait de la monographie de Mr Parey, directeur de l'Ecole de Nassandres, et Secrétaire de Mairie à la fin du siècle dernier.
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L'histoire de Nassandres racontée par Monsieur l'Instituteur Armand PAREY en 1898


M. Michel Bouin,  habitant de Fontaine la Soret, a fait don à la municipalité d’une monographie de la commune datée de 1898 et écrite par monsieur Armand PAREY, instituteur à Nassandres. Ce livre appartenait à la grand-mère de M. Bouin, habitante de  la Rivière-Thibouville, qui a très certainement connu M. Parey.
 L’ouvrage, largement documenté, permet de découvrir  la réalité de notre village au 19ème siècle et présente une vingtaine de photographies de l’époque. En italique et entre guillemets, figurent les passages repris de cette monographie.
 Origine du nom :
 Si Wikipedia nous apprend que le « nom de la localité est attesté sous les formes Naçandes en 1179, Naçandres au XIIe siècle, Nassandres en 1220 », M PAREY en donne la signification suivante : « pays de pêche ».
 A l’appui, il fait référence « aux excellentes truites, anguilles, meuniers, quelques brochets et même écrevisses. Celles-ci étaient présentes dans la Risle jusqu’en 1875 date de leur disparition à la suite d’une importante inondation ».
Il est aussi anecdotique de noter que l’acte de mariage daté de 1772 du premier instituteur dont on a la trace, Valentin PHILIPPE, stipule comme profession « maître d’école et pêcheur ». 
 
Un peu d’histoire :
 Il est vain  de prétendre restituer en quelques lignes le travail extrêmement fouillé de M Parey, sur les généalogies  détaillées des seigneurs et actes officiels  à l’origine de Nassandres .
Voici la synthèse de l’histoire de Nassandres  à partir du 11ème siècle ; en complément, citons simplement ici notre instituteur : 
 «  La Seigneurie de Nassandres appartenait dès le 12ème siècle à la famille de Bigards, avant d’être cédée à la famille d’Harcourt puis à  la maison de Lorraine, son héritière ».
 « Le château des seigneurs de Bigards devait être bâti sur le bas du versant de la colline, à deux ou trois cents mètres de l’église actuelle. Il n’en reste rien. »
 « Le hameau de Bigards doit son nom à la famille dont on retrouve trace en 1134 ».
 Soit avant que n’apparaissent les premiers écrits sur Nassandres, ce qui laisse à penser que Bigards pourrait être plus ancien.
  « La Rivière Thibouville doit son nom à la famille Thibouville... Roger de Thibouville, fils de Rober donna à l’abbaye du Bec, en 1070, une partie du manoir de Wedone, dans le comté de Northanyston… »
 Voilà peut-être  un vaillant compagnon  de Guillaume le Conquérant de 1066 récompensé.
 Là encore, cela tendrait à prouver que La Rivière Thibouville serait aussi plus ancienne que Nassandres.
 Pour les amateurs de généalogie, il peut être intéressant de relever que « le 21 janvier 1793, les registres paroissiaux concernant les baptêmes, mariages et sépultures ont été déposés  aux archives de la municipalité. Ainsi a pu être sauvegardée la mémoire du village depuis l’an 1572. »
 Gageons qu’ils y sont toujours à l’abri.
 A quoi ressemblait Nassandres en 1896 ?
 Notre instituteur précise :

  « La commune comprend cinq hameaux :
 1° Le village de l’église que l’on divise en quatre lieux-dits : St Denis – Le Homme – Rue du Petit Nassandres – Les Gardinets (actuelle rue du Val).
 2° Le Val
 3° La Rivière Thibouville
 4° Feuguerolles
 5° Bigards. »
  Si cette présentation reste valable aujourd’hui, il faut imaginer chaque hameau constitué de quelques longères normandes ou maisons en briques. Sur les 486 hectares seuls 4 hectares étaient bâtis.
 Pour un bourg qui comptait  665 habitants au recensement de 1896, la liste des commerces était longue et certainement étonnante pour une personne du 21ème siècle :
 -          1 boulanger,
 -          2 bouchers,
 -          1 charcutier,
 -          7 épiciers,
 -          2 restaurateurs,
 -          10 cafés,
 -          3 « légumiers » des 4 saisons.
 Le  village était peu tourné vers l’agriculture, seulement une vingtaine de personnes exploitaient « terres agricoles et prairies ».
 Par contre Nassandres avait déjà une  industrie (traditionnelle et nouvelle) :
 -          1 sucrerie- raffinerie (construite en 1866 par la société Cartier & Cie, rachetée en 1882 par M. A. Bouchon). Pour situer son importance pour la commune et les environs, il faut rapprocher la population de Nassandres en 1896 aux « 450 employés en campagne et 350 le reste de l’année, en 1898 ».
 -          2 moulins à blé,
 -          1 scierie,
 -          1 mégisserie (tannage des peaux d'ovins, caprins ou vachettes destinées à l'industrie de la chaussure, de la ganterie ou de l'habillement, dans le cadre de la production du cuir), employant 20 personnes.
 -          1 fabrique de cierges et bougies.
 Cet essor aura permis l’arrivée du téléphone, dès 1897, au « bureau de poste et télégraphe édifié en 1870 à La Rivière Thibouville ».
 Le choix de La Rivière Thibouville pour l’installation en 1792 d’un « directeur de la poste aux lettres »  se comprend facilement par la croisée de la route Paris-Trouville et Serquigny-Beaumont.
 Il est savoureux de retrouver que dans son serment  à la municipalité, rédigé le 30/09/1792, il s’engageait « à maintenir de tout son pouvoir la Liberté, l’Egalité et la sureté des personnes et des propriétés et de mourir s’il le faut pour l’exécution de la loi ».
 Heureusement, nos receveurs des postes aujourd’hui ne sont plus astreints à un tel engagement…
 Saviez-vous, qu’au début de la deuxième partie du 19ème siècle, « la mairie et l’école étaient au village de Feuguerolles au lieu-dit La Croix de Feuguerolles, et la commune de Perriers la Campagne était réunie pour l’Instruction à celle de Nassandres depuis 1836. » ?
 « Ce n’est que depuis 1855 que la Mairie et l’Ecole sont édifiées… à la sortie du village de l’Eglise en se dirigeant vers la Rivière-Thouville et Brionne devant une réunion de maison bâties au pied de la colline et désignée sous le nom de Gardinets . » (Actuelle rue du Val)
 « Le nombre des enfants des deux sexes fréquentant les classes varie entre 80 et 110. En 1885, il s’est élevé à 115. L’école était mixte jusqu’à l’arrivée de la première institutrice en 1883 : Madame Parey, née Alphonsine Guillot. »
 Encore une fois merci M. l’instituteur, grâce à vous on n’oubliera jamais le Nassandres d’autrefois.

Nassandres les Gardinets.JPG
Nassandres Ancienne maison d_école Mr Parey.JPG
Nassandres place publique actuellement place Bouchon Savarin.JPG
mairie et école Nassandres.jpg

Nassandres sous les bombes en 1944
(Extrait d’un compte-rendu du Conseil municipal de l’époque, Monsieur Jacques Bouchon étant le Maire de Nassandres)

Dans la nuit du 23 au 24 juillet, la commune a été victime d’un terrible sinistre par bombardement. Le moulin Saint-Denis a été complètement incendié et l’exploitant, Monsieur Jules Emile Désiré Decroix, ainsi que son jeune commis Max Claude Desjardins, ont trouvé la mort dans la catastrophe. Madame Decroix et sa jeune enfant ont miraculeusement échappé à la mort.
 La commune toute entière s’est associée au deuil de la famille Decroix.
 
Le 7 juillet, vers 20 h 30, une vague de bombardiers a survolé la Rivière Thibouville. Une heure après, une seconde vague est revenue et a causé de graves dégâts aux immeubles: garage Andrieux, maisons de MM. G Guyard, Hue, Moldent, bureau de poste, etc. rendant la plupart des logements inhabitables. La population a évacué les lieux et s’est réfugiée sur le plateau à Perriers-la-Campagne, à Goupillières et dans les divers hameaux de Fontaine-la-Sorêt: le Bohain, la Fayelle, ou encore Carsix, etc.
 
A partir de ce jour, toute activité a cessé à la Rivière Thibouville. Le bureau de poste a été transféré à Fontaine la Sorêt. La Boucherie Hue a livré la viande à Goupillières. La Coopérative des Etablissements S.R.N. a fonctionné à Feuguerolles.
 
On a été heureux de ne pas avoir à déplorer de victimes en dépit du nombre de bombes lancées qui ont creusé des entonnoirs dans les prés avoisinant la Coopérative et à proximité de la cour des moulins à la sucrerie, notamment.
 
Le samedi 8 juillet, vers 10 heures du matin, deux vagues de bombardiers ont attaqué la sucrerie, causant de sérieux dégâts. Les points de chute ont été relevés dans les bois, au-dessus du funiculaire de l’usine, au pied de celui-ci au basculeur de voitures, au four à pulpes, à l’atelier de réparation – bombe de 1000 Kg non éclatée fort heureusement – sur les hangars à betteraves, etc.
 
Cette attaque aérienne qui aurait pu être une véritable catastrophe n’a pas causé de mort dans le personnel pourtant nombreux qui était au travail; mais trois blessés seulement par un hasard providentiel: MM. Joseph Delaunay, Tesson et Barbey (de Brionne) ont été relevés après l’attaque. M. Delaunay devait succomber par la suite à l’Hôpital de Bernay.
 
Le jeudi 3 août, mitraillage de bacs à mazout, à alcool, à mélasse, vers 18 heures à la sucrerie par bombardiers américains –dégâts matériels, pas de victimes.
 
Le dimanche 13 août, vers 14 heures, les bombardiers américains ont attaqué la sucrerie. Points de chute: cour de l’usine vers le bâtiment des cuites, basculeur de wagons, à la raffinerie: atelier des mouleuses, casserie et surtout, magasin d’emballages qui a été la proie des flammes. Les approvisionnements en sacs, cartons, papiers, ficelle ont été totalement détruits. La Compagnie de Sapeurs-Pompiers, sous le commandement du lieutenant Chéron, a prêté son concours dévoué et intelligent pour combattre le feu jusqu’à 17 heures, en même temps que le personnel de la sucrerie.
 
De nombreux entonnoirs, marquant des points de chute, ont été creusés en avant du pont de l’embranchement de la voie ferrée, sur la rive gauche de la rivière, dans la prairie et les jardins, ce même jour, et jusqu’au Pré Joli, sans faire de victimes, mais causant des dommages dans les potagers.
 
Mardi 16 août, un peu avant dix neuf heures, une vague de forteresses volantes a lâché ses bombes sur l’agglomération du village de Nassandres, semant l’effroi et la panique, dans une direction générale N.E.-S.W. A l’approche du danger, beaucoup d’habitants se réfugièrent dans les tranchées à proximité de leur demeure. Ils devaient, pour plusieurs,trouver la mort, témoin la famille Lafosse qui, prise sous un éboulement n’a pu être dégagée à temps: Paul Eloi Lafosse, son épouse Angèle Germaine née Dubourg, son fils Michel Robert, sa belle-mère Marie-Louise née Toussaint, Boutel Daniel Léon Désiré, son gendre, ont été frappés en même temps.
 
La famille Millet tout entière, cinq personnes: père, mère, trois enfants de 10 ans à 6 mois, ont péri dans leur maison atteinte en plein par un projectile.
 
De même pour les époux Prat habitant une maison contigüe à celle des époux Albert Payel.
 
Madame Jacquin Yvonne, frappée par un éclat de bombe sur la route en face de chez elle au moment où elle franchissait le seuil, est mortellement atteinte. Il en est de même de René Fosset qui est transporté à l’Hôpital de Bernay et qui y mourra peu après son arrivée, et de Mireille Turpin.
 
On retirera des décombres de sa maison Hélène Albertine Turpin et deux jours après seulement on retrouvera dans le terrain bouleversé aux abords de son habitation le corps d’Isabelle Marcelle Julienne Delamare et celui de Jean-Claude Besnier, trois ans fils d’un gendarme de Serquigny en nourrice chez Mme Delamare. Le feu s’est déclaré au toit de chaume du bâtiment à usage de cave et de grenier dans la cour de Delamare et le manque d’eau à proximité empêche de combattre l’incendie qui dévore toutes les réserves de cidre, de fourrage et de bois qu’abritait le bâtiment.
 
A ajouter encore au nombre des victimes: Daniel Leroy – jeune homme de 20 ans, originaire de Colombres (Seine) qui était camouflé à Nassandres et dont la tante habitait Serquigny – et Ourselin dont le corps affreusement déchiqueté a été retrouvé dans les débris de ce qui était sa maison.
 
La ville de Bernay avait envoyé deux ambulances pour transporter des blessés; l’auto des pompiers de Nassandres a transporté le jeune Fosset, au nombre des blessés, le garde-champêtre, M et Mme Chéron, César; les soins immédiats ont été donnés par Mme Drieux, Mme Marcel Bouchon, un jeune médecin en vacances à Fontaine l’Abbé qui s’est offert pour soigner les victimes, - aidé aussi par M. G. Quenaux du laboratoire «Virultra».
 
L’activité aérienne se poursuivit toute la nuit. Vers minuit, de nombreuses fusées éclairantes lancées au long de la vallée vers l’aval, faisaient craindre de nouvelles attaques. La Rivière Thibouville avait déjà été touchée, notamment la maison de Mme de La Giraudière près du pont de la Risle, qui était incendiée.
 
Les morts avaient été déposés à l’église. Il était nécessaire au plus tôt de prendre des dispositions pour les obsèques, la température était lourde, le temps chaud. Les avions sillonnaient le ciel, mitraillaient sur les routes, voitures, attelages, camions, cyclistes et les troupes allemandes qui refluaient toujours direction Nord ou Est ne s’aventuraient que la nuit sur la route.
 
Au petit matin, pendant une dizaine de jours, on a vu arriver dans les bois de Bigards, hommes, chevaux, voitures qui passaient la journée sous le couvert, pour repartir à la nuit tombante.
 
C’est dans cette atmosphère troublée qu’il a fallu aviser aux obsèques : pas de cercueils à avoir de Bernay. Il en fallait une vingtaine – pas moyen d’en fabriquer rapidement- malgré quelque bois que Dubois avait disponible et qu’il aurait débité à l’atelier de Robert et Carrière avec son équipe, d’autant plus que vers 14 heures, le mercredi 17 août, un nouvel ouragan de feu s’abat dans la partie du village épargnée la veille, sur la route du Petit-Nassandres, près du pont, ruinant de fond en comble la propriété de Mme Rambaud où on relèvera plus tard dans les près qui l’entourent, plus de quarante points de chute, toutes les maisons à proximité reçoivent des éclats, les toitures sont criblées, les carreaux cassés, des éclats tombent jusqu’aux abords de la mairie, sur la route. Par un hasard miraculeux et fortheureusement, il n’y a personne d’atteint et l’abri qu’avaient aménagé les Allemands, à droite du porche d’entrée de la propriété Rambaud où s’étaient mis à l’abri le ménage Tremblay et Emile Klein, a résisté bien qu’une bombe ait éclaté à moins de 20 mètres environ sur la route.
 
Dans ces conditions, une corvée d’une quinzaine d’hommes est désignée pour creuser une tranchée au nouveau cimetière. Ce sera une fosse commune. Il est procédé à l’ensevelissement dans des draps qu’on a pu se procurer au magasin de l’usine, et dans la matinée du vendredi 19, l’inhumation des victimes a lieu avec le respect dû aux morts, en présence de M. le Curé qui donne une bénédiction.
 
Le calme renaît peu à peu dans la commune mais il faut se tenir sur ses gardes. Le Maire lance un appel à la population, et c’est ainsi que sans nouvel accident, mais toujours sous la menace et dans la crainte de nouveaux malheurs, les jours s’écoulent jusqu’ausamedi 26 août, jour de la libération. Exactement, les premières troupes ont débouché vendredi 25, vers 17 heures de la route de Lisieux, à Fontaine la Sorêt. Il n’y a plus d’Allemands, on respire! Les F.F.I se révèlent et brandissent leurs armes.
 
Les dernières troupes du génie qui travaillaient à la gare de Serquigny et qui cantonnaient à Nassandres, étaient parties les 14 et 15 août, veille du bombardement. Ils ont fait sauter les ponts au Petit-Nassandres, au moulin Saint-Denis, à la Rivière Thibouville. Pour aller à Serquigny, il faut passer parBeaumont.
 
On a pu approvisionner de blé le moulin Graux de Launay et y chercher de la farine pour le boulanger de Goupillières – Vochelet – qui alimente Nassandres, depuis que le four de Tristan est complètement démoli. On n’a jamais manqué de ravitaillement en pain.
 
Il fallait aussi se préoccuper du logement des sinistrés. Les abris de la côte de l’Eglise ou du Roule, s’ils étaient sûrs, n’étaient pas faits pour que les gens y séjournent la nuit. Les conditions d’hygiène étaient insuffisantes.
 
 
Le souvenir reste…
 
Voici quelques extraites des témoignages qui nous ont été confiés…
 
Regard d’un enfant de huit ans, à la sortie de l’abri…
 
L’air était irrespirable! Il faisait presque nuit… maman nous entraînait mon frère et moi vers un lieu plus sûr…
«Ce n’est rien les enfants, ce n’est rien!» nous disait-elle, peut-être pour se rassurer elle-même et moi, petite fille de huit ans à peine, ce que je découvrais était époustouflant!!
D’abord… où était le soleil si chaud tout à l’heure. Et surprise, là, juste au coin de ce qui était la maison… la pompe… oui, je l’ai vue, bien vue, crachant avec furie de l’eau… et plus loin… plus de murs, plus de clôture, plus rien…. Sauf le chien, pauvre bête, assourdi, les yeux injectés de sang et toujours attaché à sa chaîne!!
 
Ce mardi 16 août 1944
comme beaucoup d’enfants en vacances, nous avons joué tout l’après-midi… il fait chaud, très chaud… ALERTE!! On a l’habitude, on n’a pas peur, avec ma sœur nous rentrons dans l’abri «c’est encore pour Beaumont! Oh non! Ils se trompent, ça va nous tomber dessus!».
Les mains sur les oreilles pour ne pas entendre le bruit, nous crions nos prières «Je vous salue Marie… je vous salue …» aujourd’hui décidément ce n’est pas comme d’habitude: ça souffle, il y a beaucoup d’air, à couper la respiration; les mains quittent les oreilles et couvrent la bouche et le nez, c’est plein de vibrations, ça tremble de partout, la poussière nous envahit, plein de poussière. Il y a du bruit trop de bruit… de la poussière… comme un grand vent… puis tout s’arrête… grand silence qui semble long très long…. Et dans ce silence un grand cri «au secours ils ont tué ma mère!» puis les bruits reviennent: des appels de reconnaissance … on sort de l’abri quelques images se fixent dans ma mémoire… la maison à moitié démolie, des fils électriques qui traînent par terre et qu’il faut éviter, dans la haie j’aperçois une tête avec des cheveux, elle est noire dans mon souvenir, je ne crois pas que je comprenne toute l’horreur du moment.
 
L’année de mes 16 ans
 
Ce 16 août le travail terminé, je me lave les mains à la source au coin du cimetière… soudain un bruit d’avions se fait entendre de plus en plus fort et en levant la tête j’aperçois qui venait droit sur Nassandres une formation de bombardiers, je me suis mis à crier «vite, vite, il faut aller aux abris, c’est pour nous!! vite!»
 
Quelques secondes après dans un bruit de tonnerre, la terre tremblait… des pierres, de la terre et des débris arrivaient de partout… heureusement que toutes les bombes n’ont pas éclaté, et que beaucoup sont tombées dans les prés! Autrement Nassandres n’existait plus!!...
 
Après le bombardement, nous avons reçu l’ordre de porter assistance à ceux qui en avaient besoin… Nous sommes arrivés chez la famille Millet… ils étaient tous restés enfouis dans leur abri -aux alentours la terre était comme labourée et recouverte de débris de toutes sortes… impossible de retrouver l’entrée de l’abri et pourtant il fallait faire vite. Tout le monde s’y est mis et on a travaillé pendant des heures… mais hélas, il était trop tard!! Le premier petit cadavre était encore chaud, nous étions désespérés! Car il en restait d’autres – la famille entière- trois enfants –leurs parents et leur fidèle chien…«Quelle horreur que la guerre!»
 
Nassandres 16 août 1944
 
Journée très ensoleillée – 19 h 40 – à très haute altitude plusieurs escadrilles de forteresses venant en direction de Serquigny se délestent de leurs cargaisons meurtrières.
Nous remarquons des objets gros comme des pommes quitter ces avions, ils grossissent en se rapprochant du sol. C’est à ce moment là que nous nous apercevons que ce sont des bombes de gros calibre.
Etant près de l’abri que nous avons fait au fond de notre jardin, dans un silence de mort nous voyons deux gros tubes d’enfoncer dans le sol, la terre se soulever, puis dans un vacarme insoutenable, je suis projeté avec les membres de ma famille dans notre abri.
Après avoir été à demi ensevelis, nous nous dégageons de nous-mêmes et sortons par une autre issue de cet abri.
C’est à cet instant que nous nous apercevons que toutes les maisons aux alentours sont détruites et que notre bourg est détruit à 90%.
Le soir, après un déblaiement sommaire et la recherche des disparus, Nassandres décompte ses morts au nombre de 24, tous connus de nous.
Les corps ou ce qui en reste ont déposés dans l’église. Le lendemain la ronde des avions de chasse est si permanente, (ils mitraillent tout ce qui bouge) qu’il nous est impossible de creuser au cimetière, la fosse pour enterrer les victimes (sans cercueil) – nous arrivons enfin à faire ce pénible travail, au petit matin et à la nuit tombée.
Du 16 au 25 août, nous vivons tant bien que mal dans un abri collectif creusé au pied de la côte du bourg – le 25 deux automitrailleuses arrivent près de notre abri, ce sont des Canadiens, nous sommes enfin libérés, mais peu enclins de faire un accueil chaleureux à nos libérateurs –et pour cause – ce jour pour nous était trop cher payé!
 
Radio Londres
 
Tous les jours nous nous réunissions: des voisins et une bande de copains pour écouter vers 19 heures «Radio Londres» en cachette. Ce soir-là, les sirènes avaient hurlé une fois de plus et nous commencions à entendre les avions qui arrivaient au-dessus de Nassandres…
Nous avons eu juste le temps de courir aux abris, que les pierres tombaient de tous côtés et que la poussière rentrait partout. On aurait cru que la nuit était arrivée d’un seul coup!... environ une dizaine de minutes après, nous sortons tous et nous regardons ce qui s’est passé aux alentours; on aperçoit quelqu’un qui nous fait signe du côté des maisons qui ne sont plus que des décombres. Alors nous sommes vite partis déblayer pour essayer de sortir les gens qui étaient restés coincés dans leurs abris soufflés par les bombes. Tout était démoli, c’était difficile de retrouver les gens, mais nous avons commencé à déblayer et nous avons sorti deux vivants. Les autres étaient coincés; on les entendait parler, mais impossible de les retirer. Il a fallu beaucoup de précautions pour ne pas les blesser, et retirer la terre avec nos mains!
 
Hélas! Une triste découverte à l’entrée de la maison: le père et la mère étaient sans vie dans les décombres; nous avons trouvé la grand-mère morte, assise dans son fauteuil. Dans cette grande famille réunie avec ses amis pour se mettre à l’abri il y eut 6 morts… ils ont été déposés avec beaucoup d’autres dans l’église de Nassandres. Quelques jours plus g
tard, nous avons creusé une fosse dans le cimetière pour les enterrer. Ce terrible bombardement nous a tous marqués pour la vie.
 
C’était le 16 août 1944
 
Plusieurs fois dans la semaine, nous avions l’habitude de nous rencontrer après notre travail pour faire la causette avec Paulette, Bernard, Jacqueline. Nous étions en train de plumer un canard, vous pensez si on rigolait bien. Soudain vers 18 heures, nous entendîmes un ronflement lointain, c’étaient les avions qui venaient bombarder Nassandres. Tout le monde était affolé, Bernard, Jacqueline allaient aux abris qui étaient sur le côté de la maison, moi, Lucien et Paulette étions restés dans le bâtiment: une bombe tomba sur l’abri.
Le bâtiment où nous étions était en feu, on ne voyait plus rien, on ne pouvait plus respirer. Nous avons réussi à sortir en défonçant le grillage, hélas pour nos amis l’abri était rasé. En retirant les morceaux de bois, les fagots, nous apercevions, Jacqueline qui avait le genou fendu, je la pris dans mes bras et la portai chez ses parents qui habitaient dans le petit chemin derrière l’épicier Brésil.
 
Après l’arrivée des secours nous avons sorti Bernard qui était bien blessé, la jambe cassée, les doigts déchiquetés: il fut transporté par une voiture de chez Robert et Carrière à l’hôpital, hélas tout ce quartier de Nassandres avait subi le même sort. Quel grand malheur.

Photo : carrefour de la Rivière Thibouville, bombardement août 1944, ruine du café de la poste.
La Rivière Thibouville Bombardement Ruine du café de la poste-3-.jpg

L’ignoble assassinat d’une famille à Nassandres en 1898

 
Pour relater le drame qui bouleversa Nassandres et, bien au-delà la Normandie, reprenons ce qu’écrivait 7 jours plus tard dans ses colonnes, le journal « Le Brionnais » du 3 avril 1898.
 
« Une famille entière : le mari, la femme, la mère de celle-ci et les trois enfants, a été assassinée dimanche soir, 27 mars 1898.
Sur la route de Beaumont, à environ 300 mètres de l’usine Bouchon existe une coquette maisonnette fraichement restaurée, située à l’extrémité d’une grande cour fort bien entretenue, appartenant à M. Desprez de Calleville.
La maison est entourée d’une haie d’épine bien taillée, un jardin devant, bien soigné, avec une pompe et une petite pièce d’eau circulaire maçonnée, des plantes vertes. La porte vitrée est pourvue d’une grille, trois fenêtres à gauche, une seule, à droite.
C’est dans cette coquette demeure que M. Bouchon avait installé, il y a quelques mois seulement, son représentant, M. Léon Leblond, originaire de Nogent-sur-Seine, en charge de la propagation de la culture de la betterave et des conseils aux cultivateurs pour obtenir les meilleurs produits.
Le dimanche après-midi du drame, on le voyait dans son jardin travailler à établir un tuyautage destiné à conduire l’eau de la pompe dans la petite pièce d’eau.
 
A cinq heures et demie du matin, un jeune homme de Feuguerolles, nommé Bénestière, qui s’occupe du jardin de M Leblond, arriva comme d’habitude et trouva tout fermé, alors que la barrière de la cour était ouverte. Il remarqua qu’une plate-bande avait été piétinée.
Un quart d’heure après, il alla frapper à la porte vitrée. N’obtenant pas de réponse, il se mit à frapper à toutes les fenêtres sans plus de succès et enfin, essaya d’ouvrir la porte qui ne résista pas.
Un spectacle épouvantable s’offrit à sa vue : quatre corps, raidis, couverts de sang, effroyablement défigurés, gisaient au milieu de la pièce.
Affolé, le jeune homme s‘enfuit et courut à l’usine de M. Bouchon où il raconta ce qu’il venait de voir. Immédiatement, M. Bouchon, accompagné de M. Taupin, se rendit à la maison de M. Leblond et, dans toute son horreur, voici ce qu’ils virent :   
A côté de la table, le corps de M. Leblond est étendu ; la figure disparait sous une couche de sang coagulé, il a reçu un coup de fusil dans le côté droit de la tête, la mort a dû être instantanée. A côté, sa femme est couchée, également couverte de sang, la figure à moitié emportée par un coup de fusil, et, chose plus affreuse, deux enfants sont là, étendus ; l’un d’eux a reçu un coup d’arme à feu au côté gauche de la tête et l’autre un coup de feu au côté gauche de la poitrine.
Terrifié par ce spectacle, M.Bouchon rentra à l’usine et téléphona immédiatement à M. Guillemin de Nassandres de faire prévenir la gendarmerie de Serquigny.
A huit heures, M. Mezaize, brigadier, accompagné de M. Riandet, également brigadier, arriva sur les lieux du crime. Une dépêche envoyée à Bernay, au lieutenant de gendarmerie, ne trouva pas ce dernier car il était parti à Brionne. M. Guillemin se rendit aussitôt en voiture à la gare de la Rivière-Thibouville, avertit le lieutenant au passage du train et l’emmena sur le lieu de la tragédie.
Une heure après, le parquet de Bernay, accompagné du sous-préfet arrivait à la Rivière-Thibouville.
 
Aussitôt la reconstitution du crime a été faite.
L’assassin a pénétré dans la propriété, a longé la haie bordant la route, a observé quelques instants, et, enfin, s’est dirigé vers la maison où il a aperçu M.Leblond lisant son journal.
La mère venait de coucher les enfants dans une petite pièce jouxtant la chambre des parents et communiquant avec la cuisine par un petit couloir. La petite Jeanne, âgée de quatre ans et demi, dormait dans un berceau à côté du lit de ses parents, et tout au fond, dans une pièce située à l’extrémité ouest de la maison, la mère de Mme Leblond, infirme, était également couchée.
L’assassin a appuyé le canon d’un fusil sur le rebord de la porte vitrée pour viser M. Leblond. Le coup part, les vitres volent en éclats, le bois de la porte est même noirci par la poudre. Alors l’assassin a ouvert la porte, a vu Mme Leblond à côté du corps de son mari, a tiré sur elle un second coup de fusil, l’atteignant sous l’œil gauche. Les deux petits garçons, Léonce et Paul, attirés par les détonations, sont accourus dans la cuisine, en chemise. Sans pitié, avec une cruauté froide, atroce, le misérable a déchargé sur eux deux coups de feu.    
Mais sa bestialité n’était pas assouvie ; il aperçoit la petite Jeanne dans le couloir, ce monstre prend alors sur la table un petit couteau de cuisine et tranche la gorge de la malheureuse enfant. Le couteau est resté sur le corps de la petite.
Il entend les cris ou les gémissements de la vieille femme, et terminant son ignoble forfait, il décharge sur la pauvre infirme, un coup de feu à bout portant.
 
La plume est impuissante à narrer cette scène d’horreur. Pourra-t-on jamais se rendre compte des tortures morales éprouvées par les cinq dernières victimes après que le premier coup de feu a été entendu ? On a l’impression de pénétrer dans un abattoir et c’est si épouvantable, si monstrueux, que nous avons vu des hommes aguerris sentir leur jambes se dérober sous eux.
 
Quel est le mobile du crime ?
Le vol assurément. Voyant cette maison isolée, l’assassin aura supposé que des personnes aisées y habitaient, et d’ailleurs, l’aspect des chambres indique assez que c’est pour voler que ce crime sans nom aura été commis.
Dans un pêle-mêle indescriptible, tout gît au milieu des pièces : des tiroirs sont arrachés, tous les vêtements sont étendus en tas dans un coin de la chambre à coucher des parents, le bas d’une armoire à glace est brisé. Le misérable a éventré le lit, fouillé les matelas.
 
L’auteur de ce crime abominable sera-t-il connu ?
Aussi, quels soupirs de soulagement, lorsque, vers treize heures et demie, un télégramme est arrivé, annonçant l’arrestation de l’assassin à Lisieux, dans les circonstances suivantes :
A sept heures moins le quart, un individu porteur d’une valise et d’un paquet, s’est présenté chez M. Blot, au Petit-Launay pour être conduit à la gare de Serquigny. Moyennant 10 francs, le jeune domestique de M. Blot, dénommé André Mesnil, le conduisit à la gare où il prit un billet pour Lisieux.
Son attitude alerta M. Blot qui prévint la gendarmerie. Interrogé, le jeune Mesnil dit : « ce type avait la frousse, j’ai bien cru qu’il allait se trouver mal, il était blanc comme de la fiente d’oiseau. »
Les téléphones de M. Guillemin et M. Bouchon fonctionnèrent immédiatement dans toutes les directions et à l’arrivée à Lisieux, l’individu fût arrêté.
L’arrestation de l’assassin :
La valise avait été déjà retirée de la gare de Lisieux lorsque le gendarme Mariette se présenta. Fort heureusement, l’employé qui délivre les bagages connaissait le voyageur, un certain Caillard, âgé de 27 ans et habitant Lisieux.
Le gendarme se rendit alors au domicile de Caillard qu’il trouva occupé à défaire sa valise dont il venait de retirer deux fusils Lefaucheux et trois révolvers ; sur une table se trouvait une montre d’homme, une montre de femme et deux lapins.
Caillard en voyant entrer le gendarme, voulut gagner une encoignure de la pièce où, sur une tablette, était posé un couteau. Mais le gendarme ne lui en donna pas le temps, et se jetant sur Caillard, il put, après une courte lutte, lui passer les menottes.
En voyant arriver à la caserne le gendarme et son prisonnier, le capitaine s’écria en plaisantant : « Tiens ! Mariette qui nous amène l’assassin de Nassandres. »
Il ne croyait pas si bien dire !
Interrogé sur le champ par le capitaine, il fit avec un luxe inouï de détails et un cynisme révoltant le récit de son abominable forfait.
« Pour pénétrer dans la maison, que je voulais dévaliser, j’escaladai la haie du jardin et je me dirigeai vers la porte vitrée ; je regardai au travers la glace et je vis un homme assis lisant son journal.
J’avais à la main mes deux fusils que j’avais chargés de cartouches achetées à Lisieux.
Je visai l’homme à la tête, il tomba raide mort.
A ce moment apparut la femme, mon second coup l’étendit à terre, puis survint un enfant accouru en chemise aux cris de sa mère, je l’abattis comme un lapin.
J’entrai dans la maison et je vis l’autre petit garçon qui était à l’entrée de la porte, je lui tirai un coup qui l’étendit raide mort.
Sur le seuil de la porte je vis apparaître une petite fille en chemise. Mes fusils n’étant plus chargés, je coupai la gorge de l’enfant avec un couteau que je trouvai sur la table.
Cette fois, je pensais bien que c’en était fini et que j’allais pouvoir me mettre à la besogne sans être dérangé, lorsqu’en pénétrant dans une chambre au fond, je vis une vieille femme couchée dans un lit. Encore un, me dis-je, et rechargeant un de mes fusils, je la tuai à bout portant.
Je pus alors fracturer les meubles, les fouiller de fond en comble en toute sécurité ; il n’y avait plus personne dans la maison. »
Le mobile du crime était bien le vol, mais Caillard en s’en prenant à cette maison croyait sans doute qu’elle était encore habitée par Mme Bigard, morte quelques mois auparavant et qui possédait une très grosse fortune. Caillard avait connu cette dame alors qu’il travaillait à Nassandres.
 
Aussitôt que la nouvelle de l’arrestation de l’assassin a été connue à Bernay, la population s’est portée à la gare pour attendre le sinistre criminel qui devait arriver au train de 18 heures trente.
Une foule dense s’étend jusqu’au boulevard Dubus, à l’arrivée de l’assassin des cris furieux : « A mort, à mort ! » retentissent de toutes parts. Il a fallu toute l’autorité de la gendarmerie pour protéger ce monstre de la foule.
Dirigé vers la prison de Bernay, les gendarmes ont dû littéralement porter l’assassin jusqu’à la prison pour l’extraire de la foule.
Le lendemain, Caillard est conduit sur le lieu de ses crimes, mais à Serquigny une foule massée sur la route départementale barre le passage, il a fallu une véritable charge de gendarmes à cheval pour que le sinistre convoi puisse passer.
A Nassandres une foule tout aussi impressionnante s’était massée à proximité de la maison du crime, malgré une froide journée. Une douzaine de gendarmes à cheval sont dans la cour de la propriété et s’apprête à se porter au-devant de la voiture cellulaire pour la protéger.
L’émotion est à son comble à l’arrivée de l’assassin, des cris furieux retentissent : « A mort l’assassin, qu’on nous le livre, nous en ferons notre affaire… »
Caillard, au fond du fourgon cellulaire, à les mains enchaînées et paraît indifférent à l’émotion qu’il fait naître.
 
La confrontation :
 
Juge d’instruction, substitut du procureur et avocat commis d’office sont présents, lorsque Caillard descend de voiture et entre dans le couloir où le cadavre de la petite fille a été trouvé.
Loquace, il raconte simplement comment il a été amené à commettre ces crimes :
« J’ai volé deux lapins à Brionne, je n’étais pas venu dans cette contrée pour assassiner quelqu’un.
J’aime la chasse et je savais qu’on pouvait prendre facilement des armes chez M.Picard, armurier à Brionne. J’ai été voler des fusils dans l’intention de chasser dans les environs. »
On lui demande comment avez-vous commis vos crimes ?
Il répète alors ce qu’il avait déjà détaillé aux gendarmes de Lisieux.
Ce long récit est fait d’une voix blanche, en présence des cinq cadavres, sans que le terrible criminel manifeste la moindre émotion.
Vous avez tout bouleversé ici ? lui demanda-t-on.
« - Oui j’ai tout mis au pillage »
Comment avez-vous osé vous attaquer à M.Leblond qui est si puissant, alors que vous êtes plutôt chétif ? lui demande le maire de Nassandres .
« Oh ! répond-il simplement, moi je n’avais rien à craindre, je tirais à bout portant. »
Pendant toute cette confrontation, Caillard parait étranger à la chose, ne verse pas une larme, ne manifeste pas le moindre repentir ; il considère ses malheureuses victimes avec l’indifférence la plus absolue.
La confrontation est terminée, Caillard est reconduit dans le fourgon cellulaire et part sous bonne escorte, la foule étant toujours aussi dense et agressive.
 
Les obsèques de la malheureuse famille se sont tenues le jeudi 31 mars, en présence de plus de quatre mille personnes, malgré la pluie et la boue qui couvrait la route.
L’arrière de la maison est tendu de tentures noires couvertes de larmes d’argent, les six cercueils sont disposés dans une espèce de hangar arrangé par les charpentiers de la sucrerie ; à l’entrée des religieuses prient tandis que l’une d’elles présente aux personnes un goupillon pour asperger d’eau bénite les cercueils.
Le char qui doit les transporter à leur dernière demeure est un long chariot de la sucrerie, drapé de noir et attelé de 4 bœufs blancs.
Au moment du départ, on voit arriver les élèves des écoles portant tous un bouquet, et encadrés par leur instituteur M. Parey.
Après une cérémonie religieuse d’une très grande intensité, les 6 corps sont mis en terre dans le cimetière de Nassandres. »
 
  Qui était ce Caillard ?
Il est né le 16 mars 1871 à La Madeleine de Nonencourt (Eure).
En 1895, il bénéficia de la clémence de la cour d’assise du Calvados alors que tout l’accusait des doubles meurtres des époux Nicolas à Ouville-la-Bientournée. En effet, Caillard habitait à une centaine de mètres et était leur locataire. M Nicolas l’avait menacé de mettre fin à son bail et cette nuit là, Caillard n’avait aucun alibi. On trouva chez lui des effets couverts de sang humain.
Le jury ayant durant sa session déjà livré deux têtes au bourreau, décida de l’acquitter estimant la culpabilité pas nettement établie.
Cette même année, il vola dans un débit de tabac des timbres-poste, cigares et pipes. Condamné à 3 mois de prison, il effectua sa peine à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen.
De 1895 à 1898, il naviguait entre Lisieux et Brionne, où il occupa plusieurs emplois.
 Il a travaillé à la sucrerie Bouchon et chez plusieurs cultivateurs des environs. Il a été aussi employé chez Mme Bigard, riche occupante précédente de la maison de M. Leblond.
Il est vraisemblable que c’est dans l’intention de la voler qu’il est revenu à la Rivière Thibouville.
   
  Le procès :
Il s’ouvre à Evreux le 8 juillet 1898, la session dura 2 jours. L'acte d'accusation est le meurtre sur six personnes, suivi de vol.
Dès le début du procès, le président insiste sur les mauvais antécédents de l'accusé, condamné cinq fois pour vols, et évoque les mauvais instincts dès sa jeunesse, ce que l'accusé confirme. A l'âge du service militaire, il est réformé, l'armée le jugeant inapte de par sa trop faible constitution. Le président rappelle en outre l'ancienne accusation d'un double crime portée contre Caillard (sur un couple de deux vieillards), mais dont ce dernier fut acquitté par la cour d'assises, en 1896.
Il mentionne également qu'après son arrestation, un examen médical a démontré que l'accusé n'avait jamais manifesté de signe de folie, malgré une tentative de simulation pendant sa détention.
Des dizaines de témoins défilent à la barre. Caillard confirme leur témoignage sur sa présence en divers endroits proches du lieu des assassinats mais déclare qu'il n'avait pas prémédité de tuer !
Son défenseur cherchera à convaincre le jury de son irresponsabilité. Tout dans son existence, ajoute l'avocat, montre qu'il est un malade et qu'un examen médical s'impose car le crime n'est pas seulement atroce, abominable, il est encore d'une bêtise et d'une invraisemblance démontrant l'inconscience et l'irresponsabilité de celui qui l’a commis.
Après la plaidoirie de la défense, Caillard demande pardon, pleure, et demande l'indulgence au jury. La cour rejette les conclusions sur l'état mental de l'accusé et le jury se retire pour délibérer. Après une heure et quart, les jurés reviennent et le chef du jury annonce qu'aucune circonstance atténuante n'est accordée. Joseph Caillard est condamné à la peine de mort. Son pourvoi en cassation est rejeté et la grâce n'est pas accordée par le président de la République, Félix Faure.
 
Caillard sera exécuté le 19 août 1898, la guillotine dressée avenue de Caen à Evreux,  la foire empêchant son installation au lieu habituel.
Photo : La maison du crime.

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Un crime à Nassandres
Extrait du livre de M. Parey instituteur
L'année 1898 laissera dans la commune de Nassandres un bien triste souvenir.
Dans la nuit du 27 au 28 mars, vers 9 heures du soir, toute une famille composée de six personnes a été massacrée par le monstrueux Caillard qui avait habité Nassandres en 1896 et qui depuis était parti dans le Calvados.
Le crime horrible est connu sous le nom de sextuple assassinat de Nassandres.
La famille Lebond qui en a été victime était à Nassandres depuis 1885. Tous les enfants étaient nés en cette commune. Elle n'habitait que depuis le 25 décembre 1897 la coquette maison située au v illage du Val sur la route de Brionne à Beaumont où elle devait trouver une fin tragique.
M. Leblond, chef de la famille était occupé en qualité de suveillant de culture chez Monsieur Bouchon fabricant de sucre à Nassandres.
Mme Leblond passait tout son temps au soins de son ménage et à l'éducation de ses enfants qui faisaient la joie de la maison et remplissaient d'espérance la vie laborieuse et digne d'éloges de cette honnête et paisible famille. Hélas en moins d'une heure un être immonde a tout anéanti.
Le père de famille, sa femme, la mère de sa femme, leurs trois enfants ont été assassinés
Caillard a expié son crime exécrable le 18 Août 1898 à Evreux.
 
Cette chanson parle du sextuple crime de Nassandres commis en 1898. Cette complainte est révélatrice, et illustre parfaitement les complaintes criminelles locales, phénomène qui existe depuis longtemps qui a été concurrencé par les éditionslocales et nationales. Ce sinistre avait défrayé la chronique dansles journaux internationaux. Rappelons que toute cette famille est inhumée au cimetière de notre commune, et vous pouvez voir le monument à gauche de l’église.
 

Dans la commune de Nassandres,
Dans l’Eure tout prêt de Bernay,
Une famille habitait, père, mère,
En tout six membres,
Une fillette et deux garçons,
Etaient la joie de la maison.
 
Un soir le repas fini,
La famille se livrait au doux repos,
Le père lisait les journaux,
La maman couchait la fille,
L’aïeule était couchée au lit,
Et les deux garçons aussi.
 
Lorsqu’un bruit épouvantable,
Lorsqu’une détonation,
Retentit dans la maison,
Suivi d’un cri lamentable,
Le blond gisait sur le sol,
Avec un coup de fusil dans l’col.
 
A ces cris la pauvre femme,
Se précipite et reçoit,
Le second coup dans l’côté droit,
Elle tomba douleurs amères,
Sur le corps de son époux,
Lequel était mort du coup.
 
Sur les garçons l’être immonde,
Dirige aussitôt ses coups,
C’est fini quand tout à coup,
Une fillette une ange blonde,
En chemisette apparait,
Au milieu de ce forfait.
 
Sans pitié pour l’innocente,
Gaillard sinistre bourreau,
Saisissant un grand couteau,
Tue l’enfant quelle épouvante,
Rendait belle comme un Amour,
A l’aïeule c’étaitle tour.
 
Dans son lit la pauv’ grand-mère,
Devinant ce qui s’passait,
Sans pleurer elle gémissait,
Elle mourut la dernière,
C’est ainsi que l’assassin,
Fit six victimes de sa main.
 
 
Pour se donner courage,
Ce sinistre mécréant,
Se mit à table et buvant,
Au milieu de son carnage,
Se saoula comme un cochon,
Puis s’en retourne à la maison;
 
Mais on tient le misérable,
On est pas prêt de le lâcher,
On va lui faire payer,
Sa conduite détestable,
Etsi tôt d’un tour de main,
Luifaire passer le goût du pain.
 
C'était pour voler en sorte
Chez ces braves ouvriers
Que Caillard le meurtrier
Qui voulait la forte somme
A tué si lâchement
Le père la mère et les enfants
 
Mais on tient le misérable...

Nassandres monument en mémoire de la famille assassinée 1898.jpg

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